Allusion et illusion
Les oeuvres de Richard Negre proposent une lecture autre de l'espace tridimensionnel, une lecture qui contredit les postulats habituels de la physique et de l'entendement, mais qui s'appuie sur ceux-ci ainsi que sur les lois de la perception traditionnelle pour les pervertir, développant une approche illusoire et allusive de la quatrième dimension.
Le minimalisme apparent des formes engendrées dissimule une complexité latente qui s'inscrit dans la descendance des travaux théoriques de Kandinsky, tels que formulés dans Punkt und Linie zu Flache, mais élargis et généralisés aux troisième et quatrième dimensions : Raum et Zeit. Sans oublier la cinquième composante, tout aussi importante:
la lumière – Licht.
Tout part de points, arbitrairement définis, en général sur les arêtes de volumes existants, points neutres, sans signification névralgique a priori. Richard Negre les relie ensuite par des lignes constituées de cordons phosphorescents qui dessinent un volume virtuel, simultanément incisif et fragile, établi et définitivement provisoire. Ces volumes incertains et mouvants peuvent se déployer dans un espace restreint, investissant des volumes préexistants de petites dimensions, ou dans de vastes étendues, dans des installations in situ. Ils peuvent aussi résulter de la libre superposition de calques translucides qui génèrent ces presque-volumes aussi présents et illusoires que les domaines virtuels délimités par les cordons aux couleurs criardes. Mais il y a aussi ces vidéos abstraites dans lesquelles les lignes s'animent, avec juste ce qu'il faut d'hésitation pour ne pas sombrer dans un mécanisme déshumanisant. L'espace devient alors temps et la ligne lumière. On renoue ici avec le fantasme faustien de la dualité du temps et de l'espace, que Wagner a immortalisée dans la célèbre réplique de son Parsifal : zum Raum wird hier die Zeit. Le temps se transforme en espace… La transformation est centrale dans les travaux de Richard Negre. Il la comprend comme une remise en cause de la notion d'immobilité : pour moi, l'immobilité n'existe pas ; le temps ne cesse de me déplacer ; d'où mon intérêt à mettre en rapport la peinture (tentative d'immobilité) et le film d'animation (mobilité apparente), l'installation étant un entre-deux car, bien qu'immobile, elle sollicite le déplacement du visiteur. On peut aussi penser au travail d'un des collègues de Kandinsky au Bauhaus, au Licht-Raum Modulator de László Moholy-Nagy.
Il y a, cependant, dans les productions de Richard Negre, une incomplétude définitive, une fragilité qui se mue en une sorte de pudeur, une solidité de la construction que contrarient et contestent les moyens mis en oeuvre pour la manifester, une irrésolution-tension existentielle entre mouvement et solide ancrage, entre énonciation clairement affirmée et ambiguïtés irréconciliables. L'illusion des troisième et quatrième dimensions résulte d'un procès à la logique perceptive traditionnelle, mais ne serait tenir sans celle-ci. Ces espaces, balisés par des points nodaux et des cordons luminescents, bien que réels et tangibles, restent toujours dans l'univers de la potentialité – voire de potentialités multiples– et suscitent une interrogation sans cesse renouvelée sur leur statut par rapport à la concrétude des espaces qui les accueillent et qu'ils contaminent de façon subreptice.
Richard Negre suscite, chez l'observateur de ses travaux, un sentiment de manque, une forme de frustration qui le pousse à aller plus loin, à s'interroger sur le statut de la création artistique, à la perméabilité des paramètres – espace, temps, lumière – qu'Einstein a intégrés dans sa théorie de la relativité généralisée, mais que, de façon plus prosaïque, des musiciens comme Scriabine ou Messiaen ont développée avec le même bonheur.
Louis Doucet, juin 2009