Pour l'exposition " Une seconde par jour "
Galerie Jean Brolly, Paris 2012.

PARADOXE TEMPOREL

« Une seconde de film, soit 25 dessins par jour durant un an, voilà l'objectif », proclame Richard Negre à l'orée de cette expérience.
Il y a quelque chose de paradoxal et presque d'ironique dans la nouvelle exposition imaginée à présent par lui. Quelque chose de fascinant et de séduisant aussi. L'installation qu'il a mise en place est un véritable condensé de l'une de ses principales obsessions. Une obsession qui aurait pu attirer l'attention d'un Henri Bergson : Richard Negre cherche à donner une matérialité à la temporalité et à l'éternelle opposition et complémentarité mobilité-immobilité dont elle dépend.
Ce que nous voyons se jouer sur le minuscule écran-vitrine (300 cm2) de la galerie Jean Brolly – métamorphose abstraite, minutieusement construite, lumineuse, brillante, fugitive – est d'abord un dépôt de densité temporelle de sept minutes et dix-neuf secondes, correspondant à un an de temps de réalisation, inversement proportionnelles au dépôt exposé sur les murs, en "toile de fond". Douze mètres linéaires de murs pour cent-vingt-cinq petits dessins, qui ne représentent que cinq jours de temps de réalisation ou cinq secondes de temporalité cinétique...
Jeu sur le temps mobile, concentré sur une minuscule surface, et sur celui, immobile, qui, cent fois moindre dans sa durée, est cependant déployé sur une surface multipliée par cent.
Jeu provoquant notre regard. L'œil est happé. Embrassant d'un seul coup tout le dispositif, il passe naturellement du petit écran-vitrine en transformation perpétuelle aux imposants panneaux-mosaïques statiques, fragmentés par une myriade de dessins, véritables constellations algébriques. L'œil passe furtivement des uns aux autres, picore des éclats, opère des déplacements, procède à des prélèvements d'instants, slalome sur une piste spatio-temporelle. Un accrochage de cinq secondes. Une projection infinie.
Jeu mental d'échelle : deux boîtes, une géante et une naine – l'écran-vitrine et la salle d'exposition imbriqués selon un principe gigogne, David et Goliath de la représentation, cristallin et rétine symboliques –, suggèrent le fantôme de la camera obscura.
Jeu de soi à soi, entre les jours dûment tamponnés, entre les regards croisés, entre les perceptions successives : antre du regard, antre d'un regard d'un an. L'œil revient au petit écran, concentre son attention sur ces incertaines métamorphoses inéluctablement indexées aux jours qui passent, et qui modifient sans cesse le cadre-même de l'écran.
Jeu de formes qui s'enchaînent et se répondent, se heurtent et se contredisent, se forment et se délitent, cadavre exquis à usage personnel. Réduction algébrique du moment. Un continuum de papier prend forme, retient un instant une épaisseur de crayon, un découpage de la feuille, un jeu géométrique, une succession pointilliste, la densité d'une encre, un tracé architectonique ou le fantôme d'un cadran. On devine, en filigrane, comme en suspens entre les images, une règle invisible qui préside à leurs formes et à leurs scansions.
Danse graphique délicate et sobre qui enjambe les jours, procède à d'intimes déplacements, ébauche de discrets glissements, suppute un dialogue, joue de l'ajout et du retrait de masses noires ou blanches et chevauche en silence le fracas de la dixième année de la première décennie d'un siècle trépidant. Une manière peut-être, pour Richard Negre, d'exorciser le temps ou de le contempler, à distance.
Ces secondes jounalières – goutte-à-goutte salvateur qui réduit le temps qui passe à l'essentiel d'une perception –, ouvrent une perspective presque immaculée et des renouvellements assurés à Richard Negre.

Pascal Vimenet, mars 2012